« Tout passe, sauf le passé », nous indique la citation qui orne l’entrée du bâtiment flambant neuf de l’AfricaMuseum. Une dizaine d’années après ma dernière visite, j’étais curieuse de redécouvrir le musée et de confronter sa nouvelle mouture à mes souvenirs. Jadis, j’étais entrée dans une salle bondée d’animaux exotiques naturalisés et de représentations stéréotypées des habitants de l’Afrique centrale, et du Congo en particulier. Que subsiste-t-il de ce passé colonial dans le musée après la fameuse rénovation de 2018 ? Et l’ambition du musée d’être un centre de découverte sur le continent africain se réalise-t-elle dans sa recomposition ?
Léopold II est sans doute le roi le plus controversé de notre histoire. En 2020 encore, de nombreux statues qui représentaient ce personnage illustre ont été enduites de peinture rouge, une référence à la politique de terreur et de violence du roi dans sa colonie personnelle, le Congo. Ces actions ont donné lieu à un débat virulent qui porte sur la question de savoir si l’héritage de Léopold II devrait être préservé ou non, et de manière plus générale, sur la façon de représenter et d’enseigner notre histoire coloniale. En 2013, la direction de l’AfricaMuseum- appelé à cette époque ‘Musée royal de l’Afrique centrale’- avait déjà compris qu’il était temps d’adapter la représentation des anciennes colonies dans le musée, fondé par Léopold II lui-même dans l’objectif de promouvoir l’action de la Belgique en Afrique centrale. Mais qu’est-ce qui a changé après cette rénovation de cinq années ?
L’Afrique du désert jusqu’au jazz
Sur le plan du musée, on découvre que les thèmes des salles sont très divers. L’objectif est d’aborder la société « africaine » dans tous ses aspects : politique, histoire, écologie, économie, mais aussi arts, rituels, langage et musique. La dimension « sociale » de l’exposition- voir, entre autres, les salles « Langues et Musiques » et « Rituels et Cérémonies » – est particulièrement intéressante et novatrice, dans la mesure où l’ancien musée se limitait plutôt à étaler les richesses naturelles et culturelles obtenues dans les colonies et à présenter, de manière stéréotypée, quelques rites et objets africains. De plus, dans le musée actuel, la parole est donnée à des africains à différents endroits à travers de vidéos présentées sur de grands écrans. En outre, musée offre une espace d’exposition à des artistes africains contemporains.
La salle « Langues et Musiques » constitue une partie particulièrement fascinante de l’exposition. Le visiteur y fait connaissance avec la considérable diversité linguistique du continent africain, qui contient un tiers des langues parlées dans le monde et se compose de plusieurs familles langagières. Il est également invité à découvrir les sons des langues à ton et à apprendre à composer des phrases en différentes langues. En outre, l’exposition montre différents moyens de communication, du tambour à l’écriture. La salle contient des documents calligraphiés précieux qui illustrent l’influence de différentes écritures occidentales sur l’écriture africaine. Pour terminer, des installations audiovisuelles et des instruments de musique donnent au spectateur des échantillons de musiques et de danses africaines.
Si dans un premier temps il semble que la diversité des matières traitées fait que chacun trouve son compte dans le musée, son parcours adapté pour enfants est peu développé: il se limite à un livret d’activités et n’offre pas de visites guidées interactives qui font découvrir le musée d’une façon ludique. Ce qui serait pourtant très intéressant, d’autant plus que l’enseignement de l’histoire coloniale apparaît comme un thème central des débats actuels autour du colonialisme. Un autre point de critique : l’ambition d’offrir une image plus ou moins complète du continent africain dans un seul musée est, malgré la taille respectable du bâtiment, peu réaliste.
Tout dépend de la présentation
Le musée brille par sa nouveauté. De nombreux panneaux interactifs constituent un des plus grands atouts de la présentation : ils permettent de prendre connaissance de davantage d’informations sur telle région ou tel phénomène. Parfois, ils invitent même le visiteur à mettre en œuvre les connaissances acquises : ainsi vous pouvez jouer à des jeux linguistiques ou apprendre une danse de jazz congolais. En outre, le bâtiment historique du palais colonial vaut la peine à voir en soi; ainsi les grandes cartes détaillées des colonies constituent un trésor d’information.
Un autre aspect à prendre en considération pour l’évaluation de la présentation est l’influence importante de la rénovation de 2018 sur la manière de contextualiser les objets. Pour chacun d’entre eux, les curateurs ont fait le choix entre préserver un objet ou une disposition particulière en les pourvoyant d’une explication approfondie du contexte. L’autre option consistait à écarter l’objet en question de l’exposition. Ainsi, le musée a choisi de conserver la mise en place originale de la « salle des crocodiles », qui constitue un témoignage de la façon dont on collectionnait et préservait la nature du Congo il y a un siècle. De cette manière, le musée se montre très ouvert sur sa façon de travailler et sur sa position dans les débats contemporains portant sur le colonialisme. Un désavantage de cette approche concerne les cartels. Ils insistent énormément (peut-être davantage) sur les transformations réalisées dans le musée et dans la présentation du Congo et de ses habitants dans le musée ancien, au lieu d’offrir aux visiteurs un centre d’informations sur la région.
L’AfricaMuseum : un méta-musée
Il est clair que les responsables du musée ont déployé les grands moyens afin de pouvoir présenter un musée contemporain qui donne une vision nuancée sur l’Afrique et son histoire. S’il est vrai que le visiteur est dans un premier temps impressionné par la quantité et la diversité des objets qui lui sont présentés, il se rend vite compte que le musée ne pourra jamais offrir un aperçu complet de ce vaste continent. En outre, la focalisation extrêmement approfondie sur les différences entre l’ancien et le nouveau musée dévie l’attention de l’essence des objets et ébranle ainsi le potentiel de la collection riche. En somme, l’AfricaMuseum ne mérite pas le titre de ‘musée de l’Afrique’, mais se présente plutôt comme un méta-musée du musée colonial ancien.