INTERVIEW –  Aurélie Schalenbourg: “La clé des futurs profs pour pouvoir motiver et renforcer les élèves en français, c’est de devenir leur coach”

Une interview avec Aurélie Schalenbourg sur l’enseignement du français en Flandre.

© Faculté de lettres – KU Leuven

On entend souvent que le niveau de l’enseignement des langues en Flandre continue à baisser de façon spectaculaire en dépit des programmes d’études mis en place par le gouvernement. Quand les élèves finissent l’école secondaire, ils constatent souvent que l’atteinte de les  ”eindtermen” (“objectifs”), ou autrement dit l’objectif de ce qu’un étudiant “sait, comprend et peut faire” après avoir suivi une formation ou un cours, ne suffit guère pour pouvoir se débrouiller aisément en français. De plus, comme le souligne Jacques Hermans, journaliste à La Libre Belgique, le français est devenu une langue “étrangère” pour beaucoup de Flamands. Il est même le “rétrogradé à la troisième place, après l’anglais ”, parmi les langues pratiquées. 

Aurélie Schalenbourg, ancienne étudiante en lettres à la KULeuven, était enseignante en français depuis 18 ans à Heilig-Hart Heverlee lorsqu’elle a décidé de changer de vie professionnelle en se plongeant dans l’entreprenariat. Elle a fondé l’entreprise Creafrench, qui vise à renforcer le niveau de français des étudiants flamands d’une part et à moderniser l’approche des professeurs de français dans l’enseignement secondaire d’autre part. Le 14 décembre, nous avons parlé de ses conceptions sur l’enseignement du français. 

Logo de l’entreprise Creafrench, trouvé sur le site

Aviez-vous toujours rêvé de devenir enseignante ? 

Pas du tout ! Ma mère était aussi professeur de français à Heilig-Hart Heverlee, mais j’étais plutôt quelqu’un de très discret et je croyais que ce n’était pas la personnalité idéale pour devenir professeur. Ce n’était donc pas du tout mon ambition. Pourtant, j’ai toujours adoré le français parce que ma mère m’a élevée de manière bilingue. Une fois que je me suis orientée dans l’enseignement, je me suis rendu compte que c’était exactement ce que j’aimais faire. Même si j’ai une personnalité timide, je me sentais bien dans ce contexte. Je craignais toutefois qu’un professeur ait de moins en moins de liberté à cause des codifications et des règles mises en œuvre par le gouvernement. 

Ces règles, ne sont-elles pas destinées à aider les professeurs et à uniformiser l’enseignement des langues ? 

Oui, mais ce n’est pas du tout le cas. Par exemple, au niveau de l’évaluation, il n’y a rien qui correspond : dans certaines écoles, les élèves ont une évaluation permanente pour les langues, alors que d’autres doivent passer un examen écrit ou oral. Je pense que c’est illogique qu’il y ait des différences si considérables entre des écoles qui suivent, soi-disant, toutes les mêmes règles. 

En plus, les fameux objectifs finaux sont trop axés sur des détails inutiles. Ainsi, plusieurs personnes qui travaillent dans les commissions de développement m’ont confié qu’ils discutaient parfois pendant trois heures pour savoir s’ils allaient mettre une virgule dans une phrase ou pas. D’autre part, les professeurs restent quand même des professionnels qui n’ont pas forcément besoin d’être aussi minutieusement régentés concernant ce qu’ils doivent faire en classe. D’ailleurs, les meilleurs professeurs sont souvent ceux qui ne tiennent pas compte de toutes ces règles.  

Je crois que le problème actuellement est que les professeurs se sentent paralysés et n’osent plus faire des choses créatives en raison du plan trop détaillé du gouvernement. Par conséquent, les élèves vont être moins touchés par leurs professeurs. 

Le problème actuel est que les professeurs se sentent paralysés par les objectifs trop détaillés

Aviez-vous changé de vie professionnelle parce que vous vous sentiez paralysée par les objectifs trop détaillés ? 

En fait, la raison de base est plutôt un souci de santé. Il y a six ou sept ans, je me suis réveillée un matin et je n’entendais plus rien du côté gauche. Je n’ai jamais récupéré mon audition. Puis, une deuxième raison était que je sentais que je n’avais pas en mains les clés pour faire ce que je voulais faire avec mes étudiants, parce que les manuels obligatoires me limitaient. C’est donc une combinaison de ces deux raisons qui m’a convaincu de me réorienter vers l’entreprenariat. Avec notre propre initiative, Creafrench, je me sentais plus en mesure d’aider les étudiants qui en ont besoin. 

Quelle serait, selon vous, une meilleure approche pour enthousiasmer les élèves ? 

On peut, par exemple, noter des points à améliorer et les choses qui étaient déjà bonnes. Je crois important de donner un retour aux élèves, absolument, mais à travers des mots plutôt que des points. Je suis favorable à l’évaluation selon les critères du cadre Européen (CECR). Je dirais plutôt à un élève que son expression orale a le niveau B1 au lieu de lui dire “tu as 60% ”. D’une part, cela permet de motiver les élèves, parce qu’un tel retour est beaucoup plus nuancé et détaillé. D’autre part, quand ils sortent de l’école, ils sont en mesure d’indiquer sur leur CV le niveau qu’ils ont atteint au lieu de dire que leur niveau de français est ‘bon’.  

Les niveaux de compétences en langues étrangères décrits par le CECR 

Deuxièmement, il est important de savoir pourquoi les élèves flamands ne s’intéressent pas à la langue française. En général, les cours sont organisés de façon très classique, et utilisent des manuels obsolètes qui n’ont plus de liens avec le monde actuel. Durant les heures de cours de français, les élèves se concentrent principalement soit sur des questions grammaticales très délimitées (par exemple l’usage du passif), soit sur un texte ancien qui incorpore quelques mots d’une liste de vocabulaire réduite.  

Quelles pourraient être les solutions pour remplacer ces manuels obsolètes ? 

Cette situation nécessite une nouvelle approche qui prend son point de départ dans des matériaux fort actuels et accessibles, et qui utilise des listes de vocabulaire plus étendues. En effet, une langue, c’est comme jouer au lego, on a besoin de beaucoup de briques différentes, parce que plus on a de briques différentes, plus on est en mesure d’arriver à créer quelque chose. Il faut donc surtout mélanger. En outre, pour pouvoir bien mélanger les connaissances approfondies de la grammaire et la pratique je pense que les cours d’immersion dans l’enseignement secondaire ont une grande valeur. Dans ce contexte, les cours d’éducation physique, d’histoire, de religion sont donnés en français plutôt qu’en néerlandais et on sait par expérience que cela marche très bien, en particulier s’il y a une certaine continuité au fil des années. 

Une langue, c’est comme jouer au lego, on a besoin de beaucoup de briques différentes!”

Appliquez-vous des aspects de cette approche à votre propre méthode de la plateforme interactive Creafrench? 

C’est exactement ce que nous aimerions réaliser. Dans notre initiative, nous faisons chaque semaine une révision de grammaire globale et abordons quelques questions (sur le pronom personnel, sur le passif, etc.). Ainsi, les élèves sont confrontés avec tout cela chaque semaine et pas seulement une fois par an pendant deux cours. D’un autre côté, nous donnons des formations pour des professeurs : il s’agit de les coacher pour leur permettre de devenir de meilleurs coachs, car je crois que la clé des futurs profs pour pouvoir motiver les élèves et améliorer leur français, c’est de devenir leur coach. Le but devrait être d’agir comme conseiller, quelqu’un qui oriente et pilote les élèves dans la bonne direction tout en suivant son rythme. 

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